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Quelques réflexions sur „Der Müde Tod“ de Fritz Lang (1921)

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Les classifications et genres dans l’histoire du cinéma sont parfois pour le moins étranges, surtout quand elles ne tiennent pas compte des opinions d’un réalisateur. Mentionner dans la même phrase le cinéma expressionniste allemand et Fritz Lang fait mauvais genre quand on sait que ce dernier rejetait, non seulement celui-ci, mais l’idée même d’évolution artistique. Chaque film, disait-il, devait trouver son propre style dépendant de l’histoire qu’on choisit de raconter. Depuis quelque temps d’ailleurs, le terme de „caligarisme“ est apparu, décrivant à mon sens beaucoup plus exactement ce qu’on nomme communément l’expressionnisme allemand.

Rejeter une forme d’expression ne signifie pas pour autant que l’artiste n’en subit pas l’influence. Ainsi, „Der Müde Tod“ de Lang se trouve à la charnière de la création cinématographique allemande. Avec ce film, il atteste de l’expressionnisme et le dépasse une fois pour toutes. Lang travailla avec les décorateurs de „Das Kabinett des Dr Caligari“, Röhrig et Warm, et le résultant est on ne peut plus différent. Le seul décor a être une référence directe au film de Wiene est celui du cimetière après que le personnage interprété par Lil Dagover est parti à la recherche de son bien-aimé. Cette image passée, et comme si Lang fermait ce chapitre de la création cinématographique, la mise-en-scène langienne reprend ses droits. Lang d’ailleurs, comme le rapportent Alfred Eibel et Lotte Eisner, prétendra toujours à la paternité de la fin réaliste du „Caligari“, projet qu’il devait réaliser avant que la production le confia à Robert Wiene.

„Der Müde Tod“ est également un film-clé pour Fritz Lang en tant que metteur-en-scène; il se trouve être la charnière filmique entre „Die Spinnen“ et „Mabuse“. C’est d’abord le film d’un procédé que Lang n’utilisera plus par la suite: la pellicule coloriée pour indiquer le jour et la nuit. A partir de „Mabuse“, et le public en éprouvera violemment le réalisme, Lang filme en noir et blanc uniquement, changeant définitivement les règles de l’éclairage pour les scènes d’extérieur.
Puis, le film est le premier où Lang prend possession totale de l’image. Si dans „Die Spinnen“, il filmait encore le vieil homme du début du film qui se fait assassiner par l’Inca d’une façon très convenue, histoire de véhiculer l’information, ici chaque plan du film est défini à l’avance et possède sa propre structure interne ainsi que sa relation avec les autres cadrages. L’effet n’est pas uniquement le renforcement du drame; cette approche permet à Lang d’imposer sa composition unique, entre peinture et architecture. Il faudra attendre le Néoréalisme italien ou la Nouvelle Vague française pour revoir des décors aussi naturels. Même dans sa période américaine, les rues, les maisons, l’intérieur des appartements font toujours plus „vrais“ chez ce fils d’architecte, qui tout en ne voulant pas embrasser la carrière du père, a du retenir plus d’une leçon de cette période ou architecture et urbanisme étaient en phase d’ébullition. Est-ce un hasard si la ville-machine de „Metropolis“ rappelle les visions d’un Tony Garnier ou d’un Antonio Sant’Elia et sa „Città Nuova“? Dans „Der Müde Tod“ le village pourrait vraiment être n’importe quelle petite bourgade de la province allemande.

L’histoire du cinéma a toujours négligé, à tort, les trois séquences des „lumières“. Elles devaient paraitre trop convenues aux critiques, dont un ira jusqu’à dire qu’il n’y a rien de très allemand dans des histoires arabes, vénitiennes ou chinoises. C’est négliger tout un pan de la culture populaire allemande, comme la représente Karl May, un des auteurs préférés de Lang. Célèbre surtout pour ses romans sur l’Ouest américain, May a également écrit des aventures se déroulant au Proche et Moyen-Orient. Puis on passe à côté de toute une fantaisie visuelle et un humour langien qui restera présent dans tous ses films subséquents, surtout dans la séquence chinoise, si riche en émerveillements, comme le parchemin s’inclinant par respect et la marche des soldats miniature. Trucages qui aujourd’hui paraissent désuets par la simplicité technique de l’époque mais qui gagnent un charme qui leur est propre par la même occasion. Un effet spécial bien intégré dans son histoire n’est jamais vraiment démodé.
Pour les trois contes, Lang choisit trois façons de mettre en scène très subtiles qui ont toutes un dénominateur commun: elles font intentionnellement „faux“ par leur décor d’Arabie de livre animé en papier mâché ,  son utilisation théâtrale du clair-obscur pour la séquence vénitienne, où l’on pourrait passer des heures à tenter d’identifier les sources picturales, et les décors surchargés en formes et nuances d’un opéra de Pékin pour le conte final. C’est comme si Lang nous prenait par la main tel une Shéhérazade à monocle et nous dit: Je vais vous raconter une histoire. Quelque part, la Mort bienveillante du film, c’est aussi lui, le réalisateur, qui lui non-plus ne peut pas se soustraire à la volonté de son drame.

Mais parlons-en, de la peinture dans le film de Lang. Comment ne pas reconnaître l’influence des peintres allemands du XIXe siècle dans les décors, dans les visages des personnages même. Les notables de la ville semblent tout droit sortis d’un tableau d’Arnold Böcklin, et l’instituteur ressemble à s’y méprendre à celui qu’a dessiné Wilhelm Busch dans son „Max und Moritz“.
Culture populaire et „haute“ culture ne sont pas en opposition chez ce maître de la péripétie qu’est Lang, qui citera Hölderlin dans „Le Mépris“ de Godard et avouera plus tard lors d’un dîner ne jamais l’avoir lu. Cela ne l’aura pas empêché d’avoir été peut-être le seul véritable compagnon de Berthold Brecht durant l’exil de celui-ci  à Hollywood.

Quelques mots encore sur l’histoire-cadre, sur laquelle on a tant écrit que tout commentaire supplémentaire semble inutile. Après tout, pouvoir dire que „Der Müde Tod“ a décidé Luis Buñuel à s’intéresser au cinéma devrait convaincre les pires sceptiques. Mais il est un plan vers la fin du film qui fait pleurer encore aujourd’hui. La jeune fille refuse de sacrifier l’enfant pour ressusciter son fiancé; elle préfèrera mourir. Le regard de la Mort, magistralement interprétée par Bernhard Götzke, est empli d’une tendresse, d’une résignation infinie. La Mort qui sait  que la jeune fille a mal lu le poème de Salomon et que l’amour n’est pas „plus fort“ que la mort, mais peut être „aussi fort“ qu’elle, accomplit son office, qui n’est plus celui de la Grande Faucheuse, mais celle du „Gevatter Tod“ des contes de Grimm. Si la Mort est fatiguée, c’est qu’elle est foncièrement bienveillante envers les hommes, mais haïe par ceux-ci. Il n’y a pas de repos possible pour elle, comme il n’y en a pas pour le réalisateur quand il fait son film. Si Lang pouvait passer pour dur et intraitable, c’est qu’il savait que cette attitude lui permettait d’obtenir les meilleurs résultats. Bien-sûr, il y avait aussi une part de mauvais caractère. Mais peu de films parfois aussi anciens que les siens ont gardé une telle intensité et une telle modernité. Le sort sera cruel envers ce metteur-en-scène de génie qui perdra petit à petit la vue au moment même où la jeune génération de cinéastes reconnaîtra en lui un de leurs maîtres.

Patrick Védie

recommandations de lecture:
Trois lumières : écrits sur le cinéma / Fritz Lang ; choix de textes et avant-propos par Alfred Eibel; Éd. revue, corr. et augmentée.Paris : Ramsay, 2007
ISBN 978-2-84114-897-4
Fritz Lang par Lotte H. Eisner;Paris : Cahiers du cinéma,2005
ISBN 2-86642-422-0

Über Patrick Vedie

"Le bon critique est celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d'oeuvre." (Anatole France)

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